Économie

Microsoft achète les mobiles de Nokia pour 5,4 milliards d’euros

Le patron de Microsoft Steve Ballmer, sur le départ, et le président du conseil d'administration de Nokia, Risto Siilasmaa. Microsoft a annoncé qu'il allait acquérir pour 5,4 milliards d'euros l'activité de téléphonie mobile de Nokia, dont le directeur général Stephen Elop rejoindra le groupe américain une fois l'opération bouclée. /Photo prise le 3 septembre 2013/REUTERS/Dado Ruvic
Microsoft achète les mobiles de Nokia pour 5,4 milliards d’euros

HELSINKI/SEATTLE (Reuters) – Deux ans après avoir lié son sort au système d’exploitation Windows Phone de Microsoft, Nokia tombe finalement dans le giron du leader mondial des logiciels, lequel a annoncé mardi l’achat pour 5,4 milliards d’euros de son activité de téléphonie mobile.

L’opération, en principe finalisée au premier trimestre 2014, marque le retour chez Microsoft du directeur général de Nokia Stephen Elop, alors que le conseil d’administration du géant du logiciel se penche sur la succession de son directeur général Steve Ballmer qui a annoncé le 23 août sa décision de quitter le groupe dans les 12 mois.

Stephen Elop, recruté chez Microsoft en 2010, est considéré comme l’un des favoris pour la succession de Steve Ballmer, qui venait de lancer une vaste réorganisation interne destinée à transformer Microsoft en un groupe d' »appareils et de services » à l’image d’Apple.

Steve Ballmer avait approché Nokia pour un « dialogue ouvert » en vue d’une acquisition dès février de cette année, a déclaré mardi le président du conseil d’administration de Nokia, Risto Siilasmaa, lors d’une conférence de presse.

Ballmer, qui participait à cette même conférence, a dit que Microsoft entendait capitaliser sur la croissance enregistrée récemment par la gamme de smartphones Lumia de Nokia.

Après avoir longtemps dominé le marché des téléphones mobiles, Nokia a largement manqué le virage des smartphones avec l’entrée en force sur ce segment d’Apple et de Samsung. Sa part du marché mobile est tombée de 40% en 2007 à 15% aujourd’hui, avec seulement 3% de celui des smartphones.

Certes, certains investisseurs remercient Stephen Elop pour avoir dynamisé Nokia, avec une accélération du rythme de développement de nouveaux produits ces derniers mois et la sortie d’un nouveau « phablet », produit hybride entre la tablette et le téléphone mobile, qui devrait intervenir ce mois-ci.

Mais le Canadien, nommé par l’ex-président Jorma Ollila, est le premier dirigeant étranger de Nokia et pour beaucoup de Finlandais, le fait qu’un ancien cadre de Microsoft ait intégré Nokia, joué l’avenir de la société sur une alliance avec Microsoft, licencié 40.000 personnes dans le monde puis livré Nokia à Microsoft, est un coup dur pour la fierté nationale.

« Jorma Ollila a fait entrer un cheval de Troie chez Nokia », écrit un éditorialiste du tabloïd à grand tirage Ilta-Sanoma.

« De nombreux Finlandais, y compris moi-même ont grandi avec les téléphones Nokia, ma première réaction à l’opération sera émotionnelle », a déclaré Alexander Stubb, le ministre finlandais des Affaires européennes et du Commerce extérieur.

DES « CLOPINETTES »

Certains analystes s’interrogent aussi sur le montant de la transaction. Tero Kuittinen, analyste du consultant Alekstra, juge l’affaire « bradée ».

« Voilà le résultat: toute l’affaire pour cinq milliards d’euros. Des clopinettes quand on pense à son histoire! », renchérit Juha Varis, gérant de portefeuille chez Danske Capital, qui reconnaît toutefois que Nokia a peut-être saisi ainsi la dernière occasion de trouver un acquéreur.

« Quel est le prix d’une activité déclinante, qui a perdu de manière constante des parts de marché et dont la rentabilité est faible? », s’interroge pour sa part Hannu Rauhala, analyste à la Pohjola Bank. « Difficile de dire si c’est cher payé ou pas ».

Le prix de vente représente le quart environ du chiffre d’affaires de Nokia l’an dernier et donne aux activités cédées une valeur d’entreprise égale au tiers du chiffre d’affaires, soit la moitié environ de ce que Google a payé l’an dernier pour les combinés de Motorola en 2012.

Après avoir bondi de 47% dans les premiers échanges à la Bourse de Helsinki, l’action Nokia termine en hausse de plus de 33% à 3,97 euros, sans comparaison avec son pic de 65 euros atteint en 2000. Compte tenu de ce rebond, le groupe est valorisé une quinzaine de milliards d’euros en Bourse, très loin des 200 milliards atteint dans sa période de gloire.

L’action Microsoft en revanche perd 6,3% sur le Nasdaq.

Le CDS (credit default swap) Nokia a perdu 30 points de base à environ 200 pdb après l’annonce, ce qui signifie qu’il en coûte désormais 200.000 dollars pour assurer 10 millions de dollars de dette de Nokia, classée dans la catégorie spéculative.

Nokia, qui après la cession ne conservera que sa filiale Nokia Solutions and Networks, en concurrence avec des groupes tels qu’Ericsson et Huawei, ses systèmes de navigation/cartographie et son portefeuille de brevets, demeure le deuxième fabricant mondial de téléphones mobiles derrière Samsung, mais ne figure pas dans les cinq premiers sur le marché en forte croissance et très lucratif des smartphones.

PARI AUDACIEUX

Les ventes de la gamme Lumia de Nokia ont permis au logiciel Windows Phone de représenter 3,3% du marché des logiciels d’exploitation pour smartphones selon le cabinet spécialisé Gartner, dépassant pour la première fois cette année Blackberry, qui est lui même en grande difficulté.

Les systèmes Android de Google et l’iOS d’Apple n’en dominent pas moins largement avec 90% de part de marché à eux deux.

Bien avant d’annoncer son départ de Microsoft, Steve Ballmer avait été critiqué pour avoir raté la révolution du marché du mobile sur lequel le géant de Seattle ne s’est vraiment lancé qu’en 2012 avec sa tablette Surface dont les ventes peinent à décoller.

Avec le rachat des activités mobiles de Nokia, Microsoft plonge plus franchement encore dans ce marché très concurrentiel alors que certains investisseurs lui recommandent au contraire de se recentrer sur ses activités historiques dans les logiciels et les services.

Le fonds activiste ValueAct Capital Management, qui s’est vu proposer un siège au conseil d’administration, est au nombre de ceux qui se sont inquiétés de la capacité de Steve Ballmer à diriger le groupe et de sa volonté de pénétrer le marché très compétitif et à faible marge du mobile. ValueAct Capital Management détient 0,8% du capital de Microsoft.

D’autres sont au contraire enthousiasmés par le pari audacieux de Ballmer.

« Microsoft ne peut pas se détourner du marché des smartphones et l’espoir que d’autres fabricants adoptent Windows Phone s’estompe rapidement. Le rachat de Nokia tombe à point nommé », estime ainsi Carolina Milanesi, analyste chez Gartner.

« Dans les marchés actuels, il est clair que l’intégration verticale est la voie d’avenir vers le succès. Microsoft aurait-il pu s’y prendre autrement pour réussir cela ? ».

« GAGNANT-GAGNANT »
Chez Microsoft, Stephen Elop prendra la direction d’une division « matériels » élargie. Julie Larson Green, qui avait été promue à la tête d’une nouvelle entité « Appareils et Studios » dans le cadre de la réorganisation annoncée par Ballmer, sera rattachée à Elop.

Nokia est partenaire de Microsoft depuis 2011, date à laquelle il a décidé d’équiper ses téléphones mobiles du logiciel Microsoft Windows.

Le pari de Stephen Elop d’adopter Windows Phone n’a pas encore porté ses fruits, soulignent toutefois des analystes.

« C’est un pas courageux vers le futur, gagant-gagnant pour les salariés, les actionnaires, les clients et les deux groupes », a déclaré Steve Ballmer.

« La réunion de ces équipes remarquables va accroître la part de marché et les profits de Microsoft dans les téléphones, et renforcer l’ensemble des opportunités à la fois pour Microsoft et nos partenaires dans toute la gamme des produits et services. »

Marc Joanny et Juliette Rouillon pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat

 

Source : Reuters par Ritsuko Ando et Bill Rigby

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