Économie

La vente de 36 Rafale à l’Inde s’enlise à son tour

La commande de 36 Rafale par l'Inde achoppe sur des divergences entre Paris et New Delhi, après l'échec des trois ans de négociations sur un méga-contrat de 126 avions, selon des sources proches du dossier. /Photo prise le 16 juin 2015/REUTERS/Pascal Rossignol
La vente de 36 Rafale à l’Inde s’enlise à son tour

NEW DELHI (Reuters) par Sanjeev Miglani – La commande de 36 Rafale par l’Inde achoppe sur des divergences entre Paris et New Delhi, après l’échec des trois ans de négociations sur un méga-contrat de 126 avions, a-t-on appris de sources proches du dossier.

Le Premier ministre indien Narendra Modi avait annoncé en avril sa volonté de commander 36 avions de combats de Dassault Aviation « sur étagère », c’est-à-dire construits en France, après l’enlisement des négociations exclusives menées depuis début 2012 sur un contrat de 126 Rafale, dont 108 fabriqués en Inde.

Selon deux sources du secteur indien de la défense, les deux parties sont en désaccord sur le prix unitaire des avions et sur la volonté de l’Inde d’obtenir pour ce contrat-là aussi, des « offsets » (une partie de la valeur du contrat produite en Inde).

Ces nouvelles divergences menacent de retarder encore la modernisation tant attendue de la flotte indienne d’avions de combat.

Des responsables militaires ont dit craindre un énorme écart de capacités avec ses deux voisins, la Chine et le Pakistan, sans avions de combat occidentaux neufs ou si les industriels indiens ne parviennent pas à combler les manques de l’armée rapidement.

Invoquant l’urgence des besoins militaires de son pays, Narendra Modi a choisi de traiter directement avec Paris pour une commande de taille plus réduite, précisant que des responsables négocieraient les termes du contrat.

Le 16 mai, le ministre indien de la Défense Manohar Parrikar a déclaré que les négociations sur le prix du contrat seraient bouclées en « un mois ou deux ».

Mais les discussions ont achoppé sur l’insistance de l’Inde à obtenir ses Rafale à un prix inférieur au quelque 200 millions de dollars (180 millions d’euros) l’unité qui avaient servi de base aux négociations antérieures avec Dassault Aviation, ont déclaré les deux responsables militaires.

Contrairement au précédent contrat, issu d’un appel d’offres très disputé et remporté par Dassault Aviation, cette commande-ci ne prévoit pas de production en Inde, pour ne pas retarder la livraison.

« Puisqu’il n’y a pas de transferts de technologie, le prix qui était sur la table pendant les négociations commerciales n’a plus lieu d’être », a déclaré l’un des responsables, tenu au courant des nouvelles négociations.

Le ministère indien de la Défense a déclaré que les négociateurs discutaient d’un projet d’accord, mais sans donner de précision. Manohar Parrikar a dit la semaine dernière que New Delhi avait déclaré en avril à Paris vouloir les Rafale dès que possible.

Des porte-parole de Dassault Aviation et de la Direction générale de l’armement (DGA) française se sont refusés à tout commentaire.

DÉBAT SUR LES « OFFSETS »

Les deux responsables indiens ont également indiqué que les discussions achoppaient aussi sur la condition posée par New Delhi en vertu de laquelle les fabricants d’armes doivent investir sur place une partie de la valeur de tout contrat supérieur à 50 millions de dollars (45 millions d’euros).

Ces politiques d' »offset » sont monnaie courante dans les contrats d’armement avec les pays émergents, où les groupes de défense occidentaux ont investi sur place en technologies et embauché afin de décrocher des commandes.

Dans ce cas précis, l’Inde veut que Dassault Aviation investisse au moins 30% de la valeur du contrat par le biais notamment de l’achat de composants pour sa production en France, de l’installation d’usines en Inde et de la formation aux emplois de haute technologie, ont précise les deux responsables.

La France s’est dite prête à satisfaire les demandes d' »offsets » mais a souligné qu’il lui faudrait du temps pour mettre en place un réseau de distribution en Inde pour ses composants par exemple, renchérissant le coût du contrat, a déclaré l’un des responsables.

« A moins que ce soit abandonné aux plus hauts niveaux, le ministère de la Défense part du principe que les conditions d’offsets doivent être remplies », a expliqué le responsable.

Pendant les négociations sur le méga-contrat de 126 avions, l’Inde avait fixé la proportion d' »offsets » à 50% de la valeur du contrat, a-t-il ajouté.

« Ce sujet a pris le pas sur le contrat en lui-même alors qu’il n’est censé d’en être que l’un des termes », a noté Amit Cowshish, ancien conseiller financier pour les achats d’armement auprès du ministère indien de la Défense, qui a suivi les négociations.

PRIORITÉS DIVERGENTES

Pour ne rien arranger, l’armée de l’air indienne (IAF) a réclamé des modifications techniques afin que les Rafale soient équipés des armements les plus récents, a dit le second responsable.

Les spécifications techniques initiales datent du lancement de l’appel d’offres indien pour des avions de combat il y a une dizaine d’années.

Selon une source française au fait des discussions, des divergences de priorités en Inde retardent le processus, l’armée de l’air mettant l’accent sur les armements et le ministère de la Défense sur les « offsets ».

« Depuis le début, l’IAF veut plus d’armements que ceux qu’ils ont déjà choisis, tandis que l’administration indienne exige des ‘offsets' », résume cette source.

L’armée de l’air indienne s’est refusée à tout commentaire, arguant que l’accord était du ressort du gouvernement.

L’Inde, confrontée à la montée en puissance militaire de la Chine et du Pakistan, accuse 19 ans de retard dans son programme national de construction d’avions de combat légers, la certification finale du premier avion n’étant prévue que pour mars 2016.

Parallèlement, près de 260 MiG 21 et MiG 27 russes, issus de l’ère de la Guerre froide, doivent être retirés progressivement du service en environ huit ans.

« Même avec l’arrivée des Rafale, l’armée de l’air s’est faite à l’idée d’une force de frappe réduite pour la décennie à venir », a déclaré le général de division aérienne à la retraite Kapil Kak.

Dassault Aviation a annoncé en juillet sa décision de tripler sa cadence de production d’ici 2018 à trois avions par mois afin de faire face à de nouvelles commandes à l’export, après avoir engrangé deux contrats d’un total de 24 avions chacun en Egypte et au Qatar.

(Avec Cyril Altmeyer à Paris, édité par Patrick Vignal)

 

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