NICOSIE (Reuters) – Le parlement chypriote doit se prononcer ce lundi sur la taxation des dépôts bancaires prévue par le plan de sauvetage du pays conclu vendredi à Bruxelles, un projet qui ravive les craintes de tensions dans l’ensemble de la zone euro et effraie les marchés financiers.
L’annonce du projet de taxation exceptionnelle de l’ensemble des sommes déposées dans les banques chypriotes, destiné à compléter un plan d’aide de 10 milliards d’euros de l’Union européenne, marque une rupture avec la pratique consistant à ne pas faire supporter aux déposants le coût du renflouement des Etats.
La crainte de voir cette décision créer un précédent pour l’ensemble de la zone euro et provoquer un retrait massif des dépôts des banques se traduit sur les marchés par une nette baisse de l’euro, revenu sous le seuil de 1,30 dollar, et des principales places boursières : après une heure et demie d’échanges, la Bourse de Paris perdait 1,05%, celle de Francfort 1% et celle de Londres 0,7%.
L’indice Stoxx des valeurs bancaires européennes chutait de 1,8%. Quant à l’indice Euro Stoxx 50 de la volatilité, baromètre de la tension sur les marchés, il affichait un bond de plus de 20%.
La Bourse de Nicosie est fermée lundi, jour férié à Chypre.
Le vote du parlement chypriote sur le projet de taxation, initialement prévu dimanche, a été reporté de 24 heures, le temps pour le gouvernement de tenter d’adoucir le dispositif pour les comptes bancaires les moins importants.
Sans attendre, les résidents chypriotes se sont rués dimanche sur les distributeurs de billets pour tenter de retirer le maximum de fonds de leurs comptes.
Pour tenter d’apaiser les craintes de contagion, les autorités européennes soulignent le caractère exceptionnel de la taxation en rappelant que l’économie chypriote ne représente que 0,2% du produit intérieur brut (PIB) de l’Europe.
Le pire des scénarios serait en effet que les déposants de pays plus importants se mettent à leur tour à retirer leur argent des banques. Aucun signe ne laissait cependant craindre une telle évolution lundi matin.
« En dépit des assurances de Bruxelles sur le fait que Chypre est un cas particulier et que la taxation généralisée ne deviendra pas un instrument de politique générale, les déposants de toute l’Europe doutent de sa sincérité et craignent que cela créer un nouveau précédent pour les pays de la zone euro les plus endettés », explique Jonathan Sudaria, tarder de Capital Spreads.
LA TAXE DOIT RAPPORTER 5,8 MILLIARDS D’EUROS
Plus direct, l’économiste américain Paul Krugman écrit dans le New York Times: « C’est comme si les Européens allumaient une enseigne au néon rédigée en grec et en italien disant: ‘Il est temps de se ruer dans vos banques!' ».
Le feu vert du parlement chypriote au plan est loin d’être acquis : aucun camp n’y dispose d’une majorité et trois partis ont déjà annoncé leur intention de rejeter la taxation.
Une source proche des discussions a déclaré à Reuters que Nicosie espérait ramener le taux de taxation de 6,7% à 3,0% pour les dépôts inférieurs à 100.000 euros. Au-dessus de ce seuil, la taxation passerait de 9,9% à 12,5%.
Une telle modification serait acceptable pour Bruxelles à condition que le produit global de la taxation, soit 5,8 milliards d’euros, ne diminue pas, explique-t-on à la Commission européenne comme à la Banque centrale européenne (BCE).
Le président chypriote, Nicos Anastasiades, un conservateur élu il y a seulement trois semaines, a déclaré à la télévision que la taxation, certes douloureuse, permettrait d’éviter une faillite chaotique et « au final, de stabiliser l’économie et de la mener à la reprise ».
Les épargnants taxés doivent recevoir en compensation des actions des banques privées dont les rendements futurs seraient garantis par les revenus des gisements de gaz récemment découverts dans les eaux chypriotes, a ajouté le président. Un argument loin de convaincre l’ensemble des 56 députés du pays.
« Au final, le parlement est prié de légaliser une décision consistant à voler impunément les déposants, en violation de toutes les lois écrites et non écrites », a dit Yiannakis Omirou, président du parlement et chef de file de l’EDEK, un petit parti socialiste. « Nous refusons d’y souscrire. »
Le plan de sauvetage est aussi critiqué à Moscou, qui joue un rôle clé dans le dossier car les banques chypriotes ont attiré ces dernières années d’importantes liquidités d’origine russe. Moscou a en outre prêté il y a deux ans 2,5 milliards d’euros à Nicosie, un prêt qui pourrait être prolongé en complément du plan de sauvetage.
Mais le Kremlin semble lui aussi irrité par la taxation des dépôts, qui risque de coûter cher à certaines grosses fortunes russes.
Selon le porte-parole du président russe Vladimir Poutine, ce dernier a déclaré que « cette décision, si elle était prise, serait injuste, non professionnelle et dangereuse ».
Marc Angrand pour le service français, édité par Véronique Tison
Source : Reuters par Michele Kambas
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