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Bouclier Anti-Missile: Qui A Dit Que La Guerre Froide Était Finie?

Bouclier Anti-Missile: Qui A Dit Que La Guerre Froide Était Finie?

 

L’implantation d’un bouclier anti-missile en Europe suscite des interrogations nombreuses et justifiées. Contre qui ce bouclier est-il vraiment orienté? Sa présence est-elle nécessaire pour la sécurité européenne ou ne serait-il pas un attiseur de tensions? Est-il fiable techniquement parlant? Il ne semble pas exister de réponse unique mais une multitude de convergences d’intérêts en provenance des quatre coins du globe, et cet article a pour but de donner une vision simplifiée des véritables enjeux qui se cachent derrière ce projet.

Les ABM, Anti-Ballistic Missile

Le concept même de pouvoir annihiler toute frappe nucléaire remet en cause le principe même de la dissuasion. Si je sais que toutes les frappes qui me viseront seront interceptées, rien ne m’empêche de frapper le premier. Dès la sortie de la seconde guerre mondiale, les deux géants qu’étaient les USA et l’URSS se sont donc dépêchés de créer un moyen de détruire ces bombes en cours de vol en cas de frappe les visant. Le principe est simple: une fois la frappe détectée, par des satellites ou des radars avancés au sol ou en mer, la trajectoire du missile est calculée. Sont alors déclenchés en réponse l’envoi de missiles de défense censés intercepter l’ogive en plein vol et la faire exploser; en fonction du type de missile envoyé, de la distance parcourue, la réponse peut être différente.

Il y a plusieurs moyens de catégoriser ces missiles de défense. Le moyen le plus répandu est quant à leur portée; mais il est aussi usuel de voir cette catégorisation en fonction du moment où ce missile est envoyé, ou à quel moment il va intercepter le missile visé; il faut en effet savoir qu’il y a trois phases dans le vol d’un missile, au cours desquelles ils peuvent être détruits. La phase de poussée, très courte, et qui nécessite ainsi de disposer de missiles intercepteurs à très grande proximité du lieu de tir (généralement par une présence directement en territoire ennemi, par voie aérienne ou sous-marine par exemple), puis la phase intermédiaire (qui est extra-atmosphérique pour les ICBM (Inter Continental Ballistic Missile), et où il le plus simple d’évaluer son cap), puis la phase de rentrée, très courte aussi, et qui comporte certains risques en cas d’interception: les missiles peuvent être prévues pour libérer plusieurs ogives nucléaires, des leurres pour dérouter la défense anti-missile, et puis une explosion nucléaire dans l’atmosphère comporte toujours certaines « retombées »…

 

 

 

La nouvelle stratégie américaine

Comprenant dès le début les risques que pouvaient présenter l’existence d’un système de défense contre les missiles balistiques dans le fragile équilibre nucléaire qui prévalait du temps de la guerre froide, les Etats-Unis et l’URSS ont conclu dès 1972 le traité SALT (Strategic Arms Limitation Treaty). Ce traité avait pour but de mettre en corrélation la limitation du nombre de missiles offensifs et défensifs, et interdisait ainsi la fabrication de missiles anti-balistiques, sauf 100 lanceurs et 100 missiles ABM pour un seul site choisi par chacun des deux camps. L’URSS a choisi de protéger Moscou, et les USA, Grand Forks, dans le Dakota du Nord, zone de lancement de missiles intercontinentaux… En 1979, le traité est complété à Vienne (SALT II), et chacun essaie de s’assurer du respect de la part de l’autre du plafonnement des sites de lancement terrestres, du nombre de bombardiers stratégiques, du nombre de missiles stratégiques, etc. La même volonté a continué, même après la chute de l’URSS, puisque les traités START I et II, respectivement adoptés en 1991 et 1993, prévoient eux plus qu’une limitation mais une réduction du nombre de missiles « stratégiques », faisant écho aux décisions unilatérales des présidents américaines et russes de réduction de leurs effectifs. Il est inutile de rentrer dans les données techniques des différents engins concernés par ces traités (auxquels il faut rajouter le traité SORT (Strategic Offensive Reduction Treaty), le traité START III non ratifié, etc), mais plusieurs analyses font écho au manque de clarté et de possibilité de contrôle dans ces traités.

Quoi qu’il en soit, peu après les attentats du World Trade Center, le gouvernement américain revoit sa stratégie de défense et le 13 décembre 2001, George W. Bush annonce le retrait des Etats-Unis du traité ABM pour permettre la mise en place d’un nouveau bouclier anti-missile, au vu selon eux des nouvelles menaces émergentes en la matière (les Rogue States, les états-voyous, comme la Corée du Nord ou l’ Iran, et la menace terroriste). Le traité qui avait empêché ces deux géants de participer à « une course aux armes défensives » selon les termes du dirigeant de l’époque Léonid Brejnev devient caduque, même si dans les faits les Etats-Unis ont toujours essayé de développer ce genre de programme dès que la technologie leur permettrait ( le projet « Star Wars » de Reagan (Strategic Defense Initiative pour les puristes) ou le National Missile Defense Act de Clinton). Les USA ont alors commencé à mettre en place sur leur propre sol, en plus du déjà existant bouclier ABM à Grand Forks, des missiles intercepteurs comme le missile THAAD (celui-ci est efficace en phase terminale du vol du missile ciblé dite phase d’approche, ce qui est logique étant donné son déploiement directement sur le sol américain). Ce genre de missile n’est efficace qu’en dernier recours puisque le missile cible est déjà au-dessus du sol américain, et comme on n’est jamais à l’abri d’une erreur technique, le dispositif doit être complété par des missiles de défense capables d’opérer plus tôt, pendant la phase de poussée ou la phase intermédiaire. Ce système de défense est aussi basé sur des radars qui doivent être capables de repérer très vite le lancement du missile, et c’est pour toutes ces raisons que placer un système de défense anti-missile en Europe présente plusieurs avantages notables pour les américains. Parmi d’autres…

Le bouclier anti-missile ou l’américano-dépendance

Instaurer un bouclier anti-missile en Europe permet en plus de remplir des objectifs stratégiques militaires de poursuivre des ambitions plus politiques, à la fois en Europe de l’Est, chasse gardée de la Russie, mais aussi en Europe de l’Ouest en mettant à mal la construction d’une défense européenne. Les premiers pays qui étaient prêts à accueillir les différents éléments du bouclier anti-missile étaient la République tchèque et la Pologne, qui devaient accueillir respectivement un puissant radar et dix intercepteurs balistiques de longue portée d’ici 2013. Il n’y a pas besoin d’être un expert en géopolitique pour comprendre que cet acte allait mettre en rogne le Kremlin, déjà au vue de la reprise d’un programme conjointement abandonné 40 ans auparavant, et de surcroît via des installations en plein coeur de l’ex-URSS, en Europe de l’Est, où la Russie tente de retrouver son ancienne influence. L’engagement de ces pays au côté des Etats-Unis impliquait alors qu’ils se placaient sous le parapluie américain, c’est-à-dire qu’ en échange d’accorder une partie de leur territoire à ces dispositifs, les Etats-Unis leur assuraient leur défense en les faisant bénéficier de leur dissuasion. Ce genre d’engagement est un signal clair envoyé à la Russie comme quoi ces pays ne veulent plus avoir à faire à l’ogre russe mais se tournent résolument vers leurs nouveaux alliés outre-Atlantique, phénomène de plus en plus observable avec l’expansion de l’OTAN vers des pays de l’Est. Le ton est alors monté d’un cran: il est hors de question pour les russes de voir des bases armées américaines si près de ses frontières, et ils ne voulaient pas non plus voir les anciennes républiques soviétiques passer sous le giron américain (les pays baltes commençant à s’intéresser de plus en plus au projet). Les américains avaient beau leur expliquer qu’ils n’étaient pas les principaux visés, la Russie ne veut rien entendre et prévient qu’une nouvelle course aux armements débutera si ce projet est mené à bout. D’ailleurs, un mois après la signature de l’accord entre Condolezza Rice et la République tchèque sur le bouclier anti-missile, la Géorgie était envahi par l’Armée Rouge…

Mais il y a d’autres détracteurs que les russes: chaque défenseur d’une véritable construction européenne voit d’un mauvais oeil ce projet. Pour de nombreux d’entre eux, avoir une Union Européenne forte et unie passe par l’existence d’une politique étrangère commune à tous ces membres. Cette volonté transpirait déjà en 1992 en tant que pilier de la construction européenne instaurée par le traité de Maastricht, sous la dénomination PESC (Politique Etrangère et de Sécurité Commune). Et pour répondre à Henry Kissinger qui se plaignait de ne pas avoir de numéro de téléphone à composer quand il veut joindre l’Europe, c’est Javier Solana qu’il faut appeler en tant que Haut Représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune depuis 1999. Si cet ancien physicien nucléaire a eu du mal à afficher des positions solides lors de la guerre d’Irak (notamment dû au désaccord entre les français et les anglais), il a pu un peu plus se faire entendre après les attentats du 11 septembre avec la « stratégie européenne de sécurité ». Il existe donc une réelle volonté de créer une politique extérieure commune aux membres de l’Union Européenne; mais au-delà de la nécessité de résoudre les divergences intra-étatiques, il faut aussi lui donner le moyen d’assumer ses paroles. En d’autres termes, de disposer d’une force militaire. Pas besoin d’avoir d’une armée à part entière, la mise à disposition d’une partie des forces armées nationales peut suffire (pour les pays qui peuvent se le permettre). C’est l’élan que voulaient insuffler la France et ses voisins outre-Rhin avec la brigade franco-allemande, qui malheureusement est morte-née faute de moyens. C’est là où le bouclier anti-missile joue un rôle crucial. Pour les pays qui bénéficient de la protection américaine – que ce soit en devenant membre de l’OTAN ou en signant des traités bilatéraux comme pour le bouclier – la défense européenne présente plus une perte de temps et d’argent qu’autre chose. La France était un de ces moteurs de la construction de la défense européenne, et a même effectué un rapprochement avec les anglais fin 2010 dans cette optique. Les anglais se rapprochent des français en faveur de l’Europe, ça vous étonne? Mais la crise est passée par là, les armées ça coûte cher et le temps est donc venu à la mutualisation des moyens. Les autres membres de l’Union Européenne (à peu près tous à part la France, et l’Allemagne) sont eux très contents de la présence américaine, à travers l’OTAN notamment. En plus d’une économie réalisée dans le domaine de la défense, il y a un intérêt stratégique à bénéficier de l’appui des américains. Mais les débats restent houleux: de nombreux pays de l’OTAN veulent  le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe – il y aurait à peu près une vingtaine de bombes en Belgique à Kleine Brogel (Flandre), un nombre équivalent en Allemagne, et 180 rétablis équitablement entre la Turquie et l’Italie – au titre que leur présence ne porte plus d’intérêt stratégique depuis la fin de la guerre froide, et que le « zéro nucléaire » semble à la mode. Installer un bouclier anti-missile en Europe leur permettrait ainsi de disposer d’une implantation pérenne, matérielle et humaine au coeur de l’Europe (au titre de bases américaines et non de l’OTAN) et de s’assurer l’appui des pays d’Europe de l’Est une fois que ceux-ci auront rendus dépendants des américains leur stratégie de défense.

 

Ces anciennes républiques soviétiques qui se rapprochent des Etats-Unis (de l’Ouzbékistan à la Bosnie) ont eu cependant un coup d’arrêt lors de l’invasion surprise de la Géorgie par les russes à l’été 2008. L’absence de réponse des USA, malgré les liens qui les unissaient à la Géorgie, candidat sérieux à l’adhésion à l’OTAN, a refroidi les ardeurs de nombreux de ces pays, tant par la détermination des russes que par la volonté des américains de ne pas rentrer en conflit direct avec la Russie. Les américains ont aujourd’hui officieusement avorté l’implantation en Pologne et République tchèque sous pression des russes, mais comptent bien trouver un autre endroit (les noms les plus courants aujourd’hui sont Israël et Turquie). En échange de l’abandon du programme, la Russie aurait accepté de  ne plus systématiquement opposer son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU en ce qui concerne le cas iranien, ainsi que deux trois autres autres babioles comme la non-livraison de missiles S-300 à l’Iran. Les tractations entre les russes et américains ne sont pas près de se finir dans ce qui est finalement un simple coup d’échec dans la partie qui opposent ces deux géants depuis… 70 ans!

Schéma d’interception d’un missile longue portée

 

Vincent Ricciardi
Bandung Presse

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