NAIROBI (Reuters) – Uhuru Kenyatta, poursuivi par la justice internationale pour crimes contre l’humanité, a été proclamé samedi vainqueur d’un cheveu de l’élection présidentielle au Kenya, où son rival malheureux, Raila Odinga, a décidé de saisir les tribunaux.
Le Premier ministre sortant, bien implanté dans l’ouest du pays, fief de son ethnie, les Luos, a toutefois invité ses partisans à ne pas recourir à la violence.
Le pays, locomotive économique de l’Afrique de l’Est qui a failli imploser lors de l’embrasement qui a suivi le scrutin de 2007 (1.200 morts et 350.000 déplacés), retient son souffle.
A l’issue de cinq jours de dépouillement laborieux, le président de la commission électorale, Issack Hassan, a indiqué samedi que Uhuru Kenyatta avait recueilli 50,07% des quelque 12,3 millions de suffrages exprimés, soit 8.400 voix de plus que le seuil nécessaire pour éviter un second tour rendu face à Raila Odinga. Ce dernier est largement distancé, avec 43,3% des voix.
« Je déclare par conséquent Uhuru Kenyatta président légitimement élu de la République du Kenya », a-t-il dit, mettant fin à un long suspense.
Peu après, il a remis au vainqueur, arrivé après la proclamation officielle, un document sur les résultats du scrutin de lundi.
Uhuru Kenyatta, dont le prénom signifie « Liberté » en swahili, s’est alors rendu sur un campus universitaire voisin de la capitale pour y prononcer son discours d’acceptation.
L’orateur, ancien ministre des Finances et première fortune du pays selon la revue Forbes, s’est engagé, avec son futur gouvernement, à coopérer avec les institutions internationales. Il a aussi formulé l’espoir que la communauté mondiale respecte la souveraineté de son pays.
AUIDENCE FIXEE AU 9 JUILLET A LA HAYE
« Nous reconnaissons et acceptons nos obligations internationales et continuerons à coopérer avec l’ensemble des nations et des institutions internationales, conformément à ces obligations », a-t-il promis.
Le fils du « père de l’indépendance » est sous le coup d’une inculpation pour crimes contre l’humanité et doit, en principe, comparaître le 9 juillet devant la Cour pénale internationale (CPI) pour son rôle dans les violences postélectorales de la fin 2007-début 2008.
Une fois investi, il sera le deuxième chef d’Etat africain en exercice à être poursuivi par la cour de La Haye après le président soudanais Omar Hassan al Bachir, mis en cause pour les exactions et atrocités au Darfour.
Les bailleurs de fonds occidentaux du Kenya, dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance coloniale, avaient prévenu avant le scrutin qu’une victoire de Uhuru Kenyatta compliquerait les relations avec un pays considéré comme un allié vital dans la lutte contre le fondamentalisme musulman, notamment en Somalie voisine.
Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a félicité « tous ceux qui ont été élus » mais n’a pas mentionné spécifiquement Kenyatta.
« Nous sommes à vos côtés en ce moment historique et nous continuerons d’être un ami et un allié solide du peuple kenyan », a-t-il ajouté dans un communiqué.
La victoire sur le fil du rasoir au premier tour de Uhuru Kenyatta a été célébrée dans la liesse par ses partisans réunis dans le centre-ville de Nairobi. Dès les premières lueurs samedi, ses supporters ont envahi les rues de la capitale et des banlieues acquises aux Kikuyus, qui ont allumé des fusées éclairantes et brandi des feuillages en scandant « Uhuru, Uhuru ! »
Des heurts ont brièvement éclaté dans les bastions de l’ouest du pays acquis à Raila Odinga où les forces de l’ordre ont dispersé à l’aide de grenades lacrymogènes des partisans déçus qui leur lançaient des pierres.
« LA DEMOCRATIE A L’EPREUVE »
« Pas de Raila, pas de paix ! », scandait ainsi la foule près de Kisumu, une importante ville de l’ouest du Kenya proche du lac Victoria qui avait été dévastée lors des violences de 2007-2008.
A Mombasa, la deuxième ville du pays qui est aussi un bastion de Raila Odinga, de nombreux commerces sont restés fermés samedi mais on ne signale pas d’incident.
Le Premier ministre sortant, qui est âgé de 68 ans, a fait état d' »illégalité rampante » lors du processus électoral et annoncé son intention de saisir les tribunaux.
« La démocratie est mise à l’épreuve au Kenya », a-t-il lancé. « Toute violence aujourd’hui risquerait de détruire à jamais cette nation, mais cela ne servirait les intérêts de personne ».
Pour les observateurs internationaux, les opérations de vote et de dépouillement ont été globalement transparentes jusqu’ici.
Au Kenya, les idéologies politiques comptent assez peu et les appartenances et allégeances tribales jouent traditionnellement un rôle fondamental.
Les relations entre le Kenya de Uhuru Kenyatta et les pays occidentaux pourraient dépendre en bonne partie de la manière dont le président élu, et son colistier, William Ruto, lui-aussi poursuivi à La Haye, coopèreront avec la CPI.
Les deux hommes, qui nient les charges retenues contre eux, ont dit qu’ils s’efforceraient de « laver leur honneur ». Durant la campagne, le candidat Uhuru Kenyatta avait dû essuyer les quolibets du camp Odinga selon lequel en cas de victoire, il devra diriger le Kenya par Skype interposé du fond de sa cellule de La Haye.
Avec James Macharia, Beatrice Gachenge et George Obulutsa à Nairobi, Hezron Ochiel à Kisumu, Drazen Jorgic à Mombasa et Thomas Escritt à Amsterdam; Jean-Loup Fiévet et Pascal Liétout pour le service français
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