Le conflit sanglant et dévastateur que vient de connaître la Côte-d ’Ivoire, au lendemain d’une élection présidentielle dont tout le monde convenait pourtant que les préparatifs étaient exemplaires, devrait amener tout Etat africain, en cette année électorale sur le continent, et en particulier le Cameroun qui ressemble sociologiquement au pays de Houphouët-Boigny, à réfléchir sur les moyens de faire l’économie d’un conflit postélectoral.
Pour ce faire, Paul Biya et son opposition atomisée ne disposent plus que de cinq mois avant l’échéance présumée de l’élection présidentielle. Curieusement, passée l’orchestration par le Rdpc, des “ appels du peuple ” à la candidature de son président, et quelques remous de surface autour de Elecam, la situation sociopolitique du pays ressemble plutôt à ce genre de calme qui précède généralement la tempête.
Ceux que l’on pourrait appeler, toute proportion gardée, “ les poids lourds ” de l’opposition camerounaise, semblent cacher leur peu d’assurance derrière des formules et attitudes paradoxales, se contentant d’inviter les électeurs à aller s’inscrire ou à s’en abstenir, et laissant les spéculateurs médiatiques présumer de qui sera ou ne sera pas en face de M. Biya. Lequel reste pour sa part et sur le sujet, muré dans un silence qui n’a d’égal que son mépris pour le droit à l’information du peuple camerounais.
Contrairement à la Côte-d ’Ivoire dont la période pré-électoral a prouvé “ qu’un éléphant ça trompe énormément ”, le Cameroun, comme s’accordent les Osc et quelques médias camerounais à en avertir la communauté internationale, est potentiellement porteur, ici et maintenant, de nombreux germes d’un conflit postélectoral dont on ne peut présumer de l’amplitude.
Il y a d’abord qu’une élection juste et transparente commence par ses normes juridiques et éthiques dont le respect est exigé de tous les protagonistes. A ce sujet, les lois électorales dont la liste vient encore de s’allonger lors de la dernière session du Parlement ressemblent, grâce à leurs dispositions contradictoires, à une nasse destinée à apprivoiser les électeurs. Et il n’y a aucune éthique dans une ruse organisée qui tient lieu de dispositif électoral.
Il y a ensuite l’accès au droit de vote. Avant l’ère dite du renouveau, le vote était un devoir parce que malgré le monolithisme ou à cause de lui, le régime avait besoin de brandir 100% d’inscriptions et 99,99% de suffrages exprimés en sa faveur, pour démontrer à l’opinion internationale sa légitimité douteuse en l’absence de toute opposition. Ce fut encore le cas jusqu’au retour douloureux de “ la concurrence ” en 1992.
Depuis lors, ayant compris que le vote est plutôt un droit dont le citoyen peut user pour le désavouer, le régime Biya a, pour ainsi dire, décidé de fabriquer désormais lui-même le nombre d’électeurs qui lui suffit pour se maintenir au pouvoir. Guère plus de 3 millions réels ou fictifs jusqu’ici, et désormais autour de 4 millions, semble-t-il, avec l’aide d’Elecam.
Pour ce faire, ce sont les partis politiques, et non l’administration, qui inscrivent les électeurs. De cette manière, le plus grand parti supposé, a automatiquement la majorité supposée des électeurs. C’est pour cela que le tour semble joué avant le scrutin. La dernière astuce trouvée par le régime Rdpc pour pêcher des militants-électeurs dans une population qui a désespéré de la politique, c’est cette fixation ponctuelle et provisoire des coûts d’établissement de la carte nationale d’identité (Cni) à 2800 frs Cfa. Elle autorise les élites du parti au pouvoir à cotiser publiquement des millions de francs Cfa d’origine douteuse, pour faire établir en masse des Cni aux populations, aux fins de s’assurer leur vote lors des prochaines échéances électorales. Il est même démontré que dans certaines régions du pays, cette inscription sur la liste électorale a été la conditionnalité pour être admis dans la liste de l’“ l’opération 25 000 recrutements ”. Devons-nous encore rappeler qu’il s’agit là d’acheter les consciences des électeurs, et qu’une telle pratique est condamnée aussi bien par les lois électorales que par le code pénal ?
Pour combler le tout, la dernière loi votée, même si elle n’a pas encore été promulguée, interdit à Elecam de publier les résultats sortis des urnes qu’il aura seulement à rassembler pour envoyer à la Cour suprême en vue de leur proclamation. Alors, n’y aura-t-il plus de contentieux électoral ?
La population du Cameroun est aujourd’hui d’environ 20 millions d’habitants. Soit environ 9 millions d’électeurs potentiels. Dans le meilleur des cas, 4 millions seront inscrits, dont probablement 3 millions iront aux urnes pour permettre à l’ultra minorité connue de continuer à gouverner sans alternance possible. Ceci est d’autant plus probable que Elecam aura hérité de l’administration territoriale un fichier électoral contenant des doublons, des personnes décédées, des personnes mineures, etc. auxquelles s’ajouteront les personnes achetées.
Y avait-il un mal à ce que Elecam procède à une refonte des listes électorales après la publication des résultats du dernier recensement ? Quelle question ? Il est évident qu’une refonte des listes électorales serait susceptible d’envoyer dans les urnes plus d’électeurs que de militants du Rdpc. Dans cette hypothèse, le supplément de suffrages irait à l’opposition, avec une probabilité que survienne l’alternance. Il faut ajouter à ceci le fait que le calendrier électoral est exclusivement géré par le Président de la République et du Rdpc qui ne donne jamais le départ de la compétition avant d’avoir pris une longueur sur ses adversaires.
Si une loi d’application aléatoire dit que les inscriptions sur les listes électorales vont du 1er janvier au 31 décembre de chaque année sauf en période électorale, la date de convocation du corps électoral, la date du début de distribution des cartes d’électeurs, l’affichage des listes électorales, le début de la campagne électorale et le jour exact où aura lieu l’élection présidentielle en 2011 par exemple, relèvent toujours du mystère.
Si le pays continue tranquillement de s’acheminer vers l’échéance présidentielle alors qu’il est encore temps de changer les choses dans le sens de plus d’universalité, de justice et de transparence, quitte à prendre un peu de retard, personne ne pourra alors devant l’inévitable, à l’intérieur comme à l’extérieur, accuser le hasard du destin. Et ce n’est pas une prophétie de malheur.
Jean Baptiste SIPA
Le Messager
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